(journal de mes sensations)

mercredi 8 février 2012

Instinct

Hier soir, une affectueuse et chaleureuse soirée autour d'un feu et d'un gâteau-maison fait à quatre mains dont deux toutes petites... Hier soir tard après cette soirée, je m'en retournais alors qu'il neigeait. La neige tombait dru et recouvrait la route de mon retour... suffisamment pour glisser... 
Attentif, mais sans plus, j'avais en tête une autre aventure, où, comme ce soir, la neige s'était tout à coup mise à tomber, mais bien plus fort. Il en tomba tant que tout le pays fut paralysé. Des milliers de personnes passèrent cette exceptionnelle nuit à grelotter dans leur voiture bloquée par des congères, ou hébergées dans des gymnases à peine hospitaliers... Certains, même, moururent ce jour-là. 
Ce jour-là, je savais ne pas avoir le droit à la fatalité ! 
Au fur et à mesure que le temps empirait je me concentrais, faisant appel à tous mes sens. Je n'étais plus que perception et tension, mais n’émanait de moi qu'une calme concentration. Je savais que serait immédiatement perçue la moindre inquiétude tant elle était, elle aussi, sensible à ces choses-là. 
Je pris conscience à quel point mon instinct était étonnant, j'étais redevenu un "chasseur". J'étais dans la voiture rassurant et confiant, j'étais dehors sentant le temps, les autres dont je devinais chaque réaction ; j'étais à plusieurs kilomètres en avant, j'anticipais, je réagissais, je slalomais, je contrôlais ; j'étais la voiture, j'étais la route, intensément ! Nous étions en danger, mon instinct d'assassin s'était armé, rien n'aurait pu m'arrêter, rien n'aurait pu nous atteindre, j'étais un pur animal, calme.
C'est sans doute cela l'instinct de survie. Cette capacité à puiser dans sa mémoire reptilienne les réflexes nécessaires à protéger les siens... 
Nous avions mis cinq heures à faire un voyage qui devait n'en prendre qu'une et demie, mais nous étions arrivés sains et saufs, sans même avoir eu froid, ayant même admiré le paysage ! Avec, pour seul désagrément, une vessie prête à tout lâcher, malaxée qu'elle avait été durant cette mémorable épopée par les poussées d'instinct humain du petit animal qui nous accompagnait.
Tout petit, sachant à peine marcher, mon grand-père m'emmenait sur son dos dans les bois. Garde forestier, il posait aussi quelques collés pour son compte. Le village lui pardonnait ces prélèvements illégaux, parce que durant la guerre, c'est lui qui les avait nourris, chassant alors le gibier, armé d'une lance, en évitant les soldats occupants... Je relevais donc avec lui les pièges. J'admirais le furet se glisser avec souplesse dans le labyrinthe des terriers, pour rabattre vers la besace que mon grand-père disposait à l'un des trous sans jamais se tromper, le gibier affolé... Puis, vers midi, nous nous arrêtions, il faisait du feu pour rôtir, sur une broche improvisée, un des oiseaux ou un des lapins de notre butin et, cuire sous la braise, les quelques patates qu'il avait emportées dans son sac. Il m'asseyait sur sa veste de lourd velours côtelée qui sentait l'humus forestier et la poussière, il mettait sur ma tête sa casquette qui sentait pareille et me préparait mon plat. Nous mangions ainsi, face à face, à l'affût, à l’écoute de tout ce qui se passait dans la forêt. Il me racontait... Je n'avais pas besoin de bande dessinée pour rêver... 
J'apprenais à toucher les arbres, à suivre un animal et retrouver mon chemin, à lire la nature, je développais mes perceptions. Aujourd'hui encore, quand je marche dans la forêt ou dans les rues, si je me concentre, je suis capable de percevoir tout ce qui m'entoure. Percevoir et plus encore, j'ai développé une étonnante empathie, avec ceux qui me touchent. Je peux presque les lire...
De cette épopée dans la tempête de neige, il n'y a, malheureusement, rien d'autre de magique à raconter. Une fois encore, elle était déjà, ailleurs... 
J'en avais une conscience si intime... Étrangement et bien que cela me torturait d'être ainsi traité, cela ne changeait rien à mes convictions, à mes engagements... et, rien n'aurait pu lui arriver !
Je ne sais toujours pas si je suis un visionnaire ou un fou.

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