(journal de mes sensations)

jeudi 30 mai 2013

Bd. Saint Germain...

Voilà maintenant quelques mois que je ne me balade plus dans certains quartiers de Paris. Est-ce inconsciemment ou volontairement, aussi aberrant que cela puisse paraître, je suis incapable de le dire...
Hier, P. m'a demandé si je voulais l'accompagner pour récupérer une toile et deux bronzes chez Sotheby's. Parties de son patrimoine familial... Franchement pas ma tasse de thé ! Pas plus que celle des experts au regard de leur estimation... Quant aux individus qui fréquentent l'endroit pour les mêmes raisons, du moins ceux que j'ai croisés au moment où j'y étais, j'hésite à donner l'impression qu'ils m'ont laissée ici. Mais surveilliez les abords des écoles primaires, dans certaines grandes familles la consanguinité semble avoir fait des ravages ! Il faut dire que ce qui était, il y a un ou deux siècles, la seule façon de sauvegarder un sang s'affaiblissant est devenu aujourd'hui, leur ultime opportunité de se reproduire...
Nous avons donc embarqué ces œuvres du 19e siècle, un médaillon de 60 cm de diamètre, un buste et un cavalier en bronze ; du même genre que ceux qui, lorsqu'enfant je dormais dans l'appartement musée d'une vieille tante de mon père, me terrorisaient. Je me rappelle du papier peint foncé chargé de fleurs et d'oiseaux en dessins réguliers... du lit à baldaquin si haut qu'il nous interdisait à mon frère et moi une quelconque envie durant la nuit, sous peine de ne jamais pouvoir nous recoucher... et de ce bronze sur la cheminée de la chambre, représentant un cavalier attaqué par une meute de loups enragés. Lorsque la lumière était éteinte, les reflets, vert et rouille, des lueurs de la nuit donnaient vie à cette horrible scène sur la cheminée. Que tout cela était étouffant, oppressant et laid, avec en plus l'odeur caractéristique de la poussière et de l'humidité, de cimetière, qu'ont les pièces jamais chauffées et toujours tenues fermées...
Lestés d'un peu de culture, nous partîmes en quête d'un rade où nous remettre de nos émotions... Avant que je m'en aperçoive, nous laissions derrière nous la place de la Concorde, traversant la Seine, face à l'Assemblée...
La voiture prit le boulevard St.Germain...
Au fur et à mesure de notre progression, je pouvais sentir mon cœur ralentir... Passé la rue du Bac, j'étais en apnée... Invraisemblable ! Je ne m'attendais pas à une telle réaction physique après tout ce temps... J'étais dans un état d'attention extrême, n'écoutant plus les délires de P., je scrutais chaque mouvement dehors, fébrilement... J'attendais de croiser cette rue sur la droite, prêt à me pencher pour apercevoir cette petite fenêtre de toit arrondie... J'étais incapable de me contrôler, en revanche j'avais une conscience accrue de ce que je vivais. En même temps que j'observais, je revoyais mentalement tous les instants passés ici, tous les détails jusqu'à ses torchons qu'elle laissait sécher au bord de sa fenêtre... La précision de ces flashs était diabolique. Je sentais ces odeurs de tomettes cirées, de myrrhe, de lessive Kitz... J'imagine que l'apercevant soudainement, les larmes auraient jailli ! 
Heureusement, j'avais dans mon étui à lunettes de quoi m'apaiser... Il était 18h30 passé, la soirée venait pour moi de prendre une tout autre tournure, je n'aspirais plus qu'à rentrer chez moi, à me retrouver seul, à profiter de cette marée qui venait de me submerger... ne sachant même pas si j'aimais ou détestais ces sensations. 
Ce n'est pas délibéré de ma part, ça ne peut être soumis à ma volonté, cela provient d'un endroit si profondément en moi que je n'y ai pas accès. Peut-être même que cela ne vient pas de moi... 
Je pensais qu'avec le temps cette émotion s'estomperait, force m'est de constater qu'elle est toujours aussi violente ; un félin aussi puissant que sauvage, tapi en moi et toujours à l'affût ; me lacérant, me déchirant, à chaque faux pas... 
À quoi est-ce que je ressemble ? Dévasté, en lambeaux... Comment est-ce que je fais pour encore tenir debout, pour que personne ne se doute qu'à l'intérieur, je ne suis plus qu'un épouvantail ? C'est peut-être que j'ai, malgré tout, une sacrée bonne étoile. Et puis, il faut faire avec ce que l'on a !

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