(journal de mes sensations)

dimanche 11 novembre 2012

Odyssée 1.

Aujourd'hui, à treize heures et quarante-quatre minutes j'ai tout à coup pensé qu'il serait bien que je me douche.
La première fois, cela avait duré neuf mois, et avait pris fin en raison d'un incident majeur qui, je l'avoue, sur le coup et sachant qu'il n'y avait pas de victime, fit mon bonheur... Approchant alors Mars, j'avais habillement profiter de son attraction pour revenir fissa, afin d'aider, d'aimer aussi... Malheureusement, quelques mois plus tard, je fus contraint d'à nouveau m'éloigner...
Voici donc vingt-deux mois que j'ai entamé cette seconde épreuve. Les cinq premiers mois, bien que difficiles, s'étaient globalement bien passés. C'est à l'annonce de l'impossibilité, dans les conditions du moment, d'un retour, pourtant de plus en plus attendu, que les choses se gâtèrent... Enfin, quand je dis les choses, il s'agit surtout de mon équilibre psychique.
Dans un premier temps, je m'en pris à ma réserve de pinard, pour oublier, comme on dit ! C'est dire comme on oublie... J'en vins aussi à négliger toutes activités physiques, me contentant du strict minimum ; restant assis, saisi de voir ainsi s'éloigner le bleu...
Évidemment, je pourrais prétexter que c'était dans le but d'économiser l'eau, de minimiser mon empreinte carbone dans ma cellule... Mais ce serait me mentir, je cherchais mon paradis perdu... Bref, au bout de quelques mois, la première conséquence significative de cette attitude désespérée fut de ne plus pouvoir rentrer dans ma combinaison de sortie ! Ce qui me causa un tas d'ennuis...
Je dois dire que le plus gros morceau, fut Jupiter... La dépassant, je me désolais de ne pas pouvoir profiter de son attraction pour rentrer. C'eût été phénoménale au vu de sa circonférence... 
Je ne sais pas pourquoi, mais souvent je crois qu'un moment précis, des circonstances, certains signes... sont tellement appropriés, voire providentiels, que l'autre, avec qui vous êtes en interconnexion, ne peut que s'en apercevoir aussi, et qu'alors, très probablement, il va lui aussi réagir...
Symptômes du vide de mon univers !? Peut-être, peut-être pas...
Près de deux ans de vie en cellule, isolé et perdu, forcément, on s'organise. D'ordinaire plutôt soigné, propre sur moi et autour... je dois reconnaître que mes priorités semblent avoir évolué, ou plus exactement, s'être adaptées. Est-ce par distraction, ou est-ce dû à une distorsion du temps que je subis ? Mais tous ces petits détails, qui ne manquent pas d'importance lorsque l'on est à deux, m’indifférent depuis. Je m'en acquitte lorsqu'ils m’embarrassent ou que je ne peux pas faire autrement.
C'est ce que j'ai fait vers treize heures quarante-cinq, aujourd'hui. J'ai aussi coupé tout ce qui pousse... parfois, j'ai l'impression que mon corps vit malgré moi...
Une fois fait, je me suis senti bien, c'est certain. Mais je ne me sentais pas mal avant non plus. La journée...? Pourquoi "la journée" ? C'est ridicule, cette mesure du temps ne me convient pas vraiment. Je passe d'une position allongée, très agréable il faut reconnaître, à une position assise, plus pratique pour lire, faire mon rapport... quotidien ? Non, "courant" est plus approprié. Enfin, assis on fait un tas de choses, bien plus qu'allongé... Je me lève pour me déplacer, quand même ! Mange, vais aux toilettes... Voilà ce qui mesure mon temps... 
Et là, tout seul, je comprends que je ne fais qu'une seule chose, je n'accepte qu'une seule occupation, je n'ai qu'une priorité... essayer de communiquer !!
Imaginez-vous, durant quelques minutes, être le dernier représentant de la race humaine... Comment évolueraient vos priorités ? 
Tout à coup, je ne sais plus quel est le plus effrayant des vides, celui que je présume autour de moi ou celui qui se crée à l’intérieur de moi au fur et à mesure de mon isolement ?
C'était un risque dont je n'avais pas conscience, mais quand bien même, j'aurais été incapable de faire autrement... J'attendais déjà mon rendez-vous ! Qui n'a ni mois, ni jour, ni heure ; une rencontre pouvant se produire ou se reproduire à tout instant et particulièrement quand je ne m'y attendrais pas, du moins c'est ce que j'ai, jusqu'à présent, constaté... Ne pouvant la prévoir, mais afin de l'attendre sans espoir, je me suis mis à vivre, hors du temps... Qu'y avait-il d'autre à faire ? Si je reviens sur terre, à nouveau sujet à notre mesure du temps, que se passera-t-il concernant mon rencard ? Je risquerais de l'oublier ?
Je vais enfiler ma combinaison pour aller faire quelques pas autour de ma capsule. Elle me boudine encore un peu... Bien que faisant plus attention, m'imposant quelques restrictions, pas uniquement en quête d'une silhouette mais aussi pour tenir plus longtemps... J'avais, dernièrement, repris mes exercices, et même retrouvé le goût de les pratiquer, mais je me suis bêtement blessé... et me voilà condamné à attendre encore une bonne trentaine de jours... Ce qui m'ennuie, c'est qu'il va falloir tout recommencer, et particulièrement pour à nouveau retrouver le goût... J'ai beau garder en tête ma satisfaction et mon envie d'alors, sans pratique, elle faiblit irrésistiblement. Certes, sans jamais vraiment disparaître, elle est toujours là, plus que probable... il faut juste, faire l'effort !
Allez ! Dans deux mois et quelques jours, j'approcherai Saturne... Ses anneaux paraissent providentiels... Sans compter les imprévus en chemin...

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