Hier, en début de soirée... le pire des moments, celui de toutes les tentations... Désœuvré, résistant avec difficulté à l'une d'entre elles... j'allume la télé... Je passe de chaîne en chaîne, tellement de conneries ! Tout à coup, un paysage de neige, de montagnes, de lacs et de mélèzes... Un homme, un trappeur, avec ses chiens, chasse les couguars, les lynx, les loups ou les ours qui s'approchent trop près des fermes ou qui déciment les troupeaux... Je ne sais pas pourquoi, ou plutôt si, je sais très bien pourquoi... je me dis ce doit être le Montana... C'était ça !
Trappeur, quelle vie ! Une cabane en rondins, du bois coupé, un poêle, des outils, des pièges... La forêt, la nature...
Petit, mon grand-père m'emmenait relever les pièges qu'il posait... Sa besace, son manteau, son chapeau, sa serpette tranchante (dont il avait fait le manche) qui battait à sa hanche, l'allure de ses pas précis, dont il cassait sans cesse le rythme en forêt... nous devons toujours surprendre, jamais être surpris, m'apprenait-il. D'où vient le vent ? Écoute ! Là... que sens-tu ? Observe... Je le suivais, admirant sa grande carcasse qui semblait aussi solide que les chênes alentour et j'étais envoûté par les odeurs d'humus et de musc. Parfois, nous stoppions brusquement, il me faisait m'accroupir et nous pouvions patienter de longues minutes sans bouger. Puis, il me regardait, tendait son doigt en silence pour que je le suive du regard et je découvrais, ébahi, une laie et ses marcassins... une biche et son fan... un renard qui filait ou encore, un autre coureur des bois qui lui ne nous avez pas vus... Nous les laissions passer et reprenions notre course à travers bois... Comment ne pas être marqué par de telles expériences ?
Bien sûr, ma campagne n'est pas comparable à l'immensité du Montana, à la rudesse et à la brutalité de la nature sauvage qui règne là-bas... mais toute proportion gardée, on s'y trouve imprégné identiquement...
J'ai eu cette chance, durant les dix premières années de ma vie, d'être marqué par cette vie naturelle... Pas de télé... l’électricité ne servait qu'à éclairer, nous mangions ce que mon grand-père faisait pousser dans le potager et aux champs, glanait ou cueillait dans la forêt ; le gibier qu'il avait chassé ou piégé. On se chauffait au bois, dans les chambres il faisait froid ; on se lavait dans la cuisine à l'évier ou dans une grande bassine et il fallait faire chauffer l'eau sur la cuisinière à bois...
Je pense n'avoir jamais plus était heureux comme à ce moment là. De ce bonheur dont on ne sait même plus que c'en est un, tant on n'y pense même pas...
J'ai gardé de cette époque un instinct puissant que cette vie avait développé, une certaine humilité et un amour de la nature comme celui que l'on voue à sa mère. Je pense pouvoir reconnaître le peu de ceux qui me ressemblent quand bien même, un peu comme moi, ils se sont eux aussi perdus...
Toute ma vie d'avant, bien que ne manquant pas tout à fait de talent, je fus incapable d'avoir une réelle et profonde ambition, sans savoir pourquoi...
Maintenant, je sais, rien ne me convenait... et ce n'est qu'en revenant sur mes pas que j'ai trouvé...
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